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ÉCOLE NORMALE de MILIANA 1874/1946 |
LE TRAIT D' UNION (1964-2000)
École Normale de Miliana
Souvenirs
Mon
E.N.de Milianah 1918-1921
Par Marthe BRIAL.
Jai toujours aimé lécole, où je retrouvais à chaque rentrée scolaire mes camarades de jeux, létude, les occupations scolaires.
Jadmirais mes institutrices que je trouvais élégantes, qui soccupaient de nous avec affection. Elles représentaient pour moi la sécurité, lautorité, le savoir. Elles étaient des personnes hors du commun. Et je disais toujours : « quand je serais grande, je serais maîtresse décole ». « Alors, il faut que tu travailles bien en classe », me répondait maman. Et je mappliquais beaucoup.
Jai suivi les classes primaires dans mon quartier, à Bab-el Oued, dans la banlieue dAlger, où jai préparé le concours dentrée à lÉcole Primaire Supérieure. Jy entrais le 1er octobre1915. Durant trois ans, jai préparé le concours dentrée à lÉcole Normale de jeunes filles où jentrais le 1er octobre 1918. LÉcole se trouvait à Milianah sur le plateau du Zaccar où étaient exploitées des mines de fer.
Partis dAlger vers 8 heures du matin, nous arrivions à Milianah Marguerite, où nous prenions un petit train poussif qui nous montait à Milianah vers midi.
Un professeur nous attendait pour nous conduire à lécole ; un grand bâtiment à deux étages, tout à fait banal mais accueillant où, dès le vestibule, on apercevait une grande cour de récréation, ce jour-là baignée de soleil, égayée par la verdure de rosiers grimpants et qui dominait la plaine du Chélif.
La Directrice nous accueillit et nous dirigea vers le premier étage afin dy déposer nos bagages, puis au second où se trouvaient les salles de toilettes, afin de nous rafraîchir.
Nous redescendions vers le réfectoire où un excellent déjeuner nous était servi..
Après le repas, nous montons au premier étage où Madame la Directrice nous attendait, dans une salle détudes, afin de nous expliquer les disciplines de la maison :
Lever à 6 heures du matin, étude de 6 à 7 heures, petit déjeuner à 7 heures. Retour au 2ème étage où sont installés dortoirs et salles de toilette où se trouvent lavabos, cabines individuelles, eau chaude et froide et, le long des murs, des placards où nous pourrons ranger notre linge et nos affaires personnelles. Une autre salle, plus petite, avec des placards où nous pourrons ranger manteaux et vêtements.
Chacune de nous a une charge concernant lentretien ménager de la maison. Chacune doit faire son lit, puis soccuper de la propreté des galeries qui courent le long des classes, lélève infirmière soccupe de la distribution des bains, dont les salles se trouvent au sous-sol, disponibles le jeudi matin à tour de rôle. A 8 heures commencent les cours, qui dureront jusquà 11 heures, où nous prendrons les repas.
A midi, les jours de beau temps, ce sera une petite promenade dune heure. Les jours de pluie ou de froidure, récréation dans la salle jusquà 13 heures. Les cours reprennent jusquà 16 heures.
De grandes corbeilles remplies de tranches de pain frais sont disposées sur les fenêtres du réfectoire. Les placards aux provisions occupent une petite pièce à côté du réfectoire, nos paniers à provisions y sont rangés, remplis de toutes les friandises que les mamans y ont disposées chaque fois que nous quittons la maison au retour des vacances.
A 17 heures, nous rejoignons les études afin dy préparer les cours du lendemain.
A 19 heures, repas du soir.
A 20 heures, récréation dans la grande salle où chacune de nous fait ce qui lui plaît : lecture, bavardage, dentelle ou broderie. La plupart des jeunes filles dansent. Il y a dans la salle un piano, et toujours une musicienne qui joue pour permettre à ses compagnes dévoluer. Cest à lÉcole Normale que beaucoup de ces jeunes filles ont appris les danses en vogue à cette époque : polka, mazurka , scottish, valse, pas des patineurs, quadrilles, tangos etc.
A 21 heures, une sonnerie nous engage à regagner les dortoirs où nous nous préparons pour la nuit.
Un professeur a sa chambre entre les deux dortoirs. Elle passe voir si toutes les jeunes filles ont rejoint leur lit. La lumière séteint, seules quelques veilleuses restent allumées. Cest le silence jusquau matin.
Le jeudi, le matin cest le temps du bain et de préparation des cours dans les études. Laprès-midi, si le temps est favorable, cest la promenade aux alentours de la ville, à la campagne. Les jours de pluie cest le temps libre dans les études ou la salle de récréation.
Le dimanche, les jeunes filles peuvent dès le matin aller chez elles rejoindre leurs familles. Les autres ne peuvent sortir que si elles ont dans la ville un correspondant qui a été accepté. Mais, à 17 heures, tout le monde doit être rentré !
Au cours de lannée, des cours de gymnastique nous sont donnés par notre professeur de physique, et au troisième trimestre de la troisième année, elle organisera une petite fête où seront spectatrices les élèves, les professeurs, Mme la Directrice et les employées de la maison. Des pièces y seront jouées, dirigées par le professeur de français : le Misanthrope ; le gendre de M.Poirier ; un ballet monté par le professeur de physique etc
Au cours du second trimestre, nous passons à Alger le Brevet Supérieur. Au cours du troisième trimestre nous préparons le CAP écrit. Cest à dire que, à tour de rôle, nous faisons un stage dans les classes de lécole dapplication installée dans lÉcole Normale même. Ces classes sont sous la direction dexcellentes institutrices : maternelle, cours préparatoire, cours élémentaire, cours moyen et cours supérieur.
Au mois de janvier, nous suivons à Alger un cours à lÉcole Ménagère. Nous y logeons au Jardin dEssai dans un bâtiment réservé pour nous. Nous y apprenons à tenir une maison, faire la cuisine, y compris la pâtisserie, lentretien du linge, surtout le repassage et la couture, le jardinage : piocher, bêcher, bouturage, plantation, et, à lInstitut Pasteur, des cours dhygiène et de soins, entretien des animaux domestiques.
Cette période est une période de grande liberté car nous avons sortie libre le jeudi et le dimanche.
Puis, retour à lÉcole Normale où nous préparons le Certificat dÉtudes Pédagogiques. Pendant un mois nous préparons un mémoire sur le stage, sur les disciplines qui nous ont plu ; une dissertation pédagogique parmi les sujets qui nous sont proposés et une préparation de classe sur une discipline choisie. Les professeurs apprécieront et noteront.
Nous avons toutes réussi à notre Brevet Supérieur et à notre Certificat dAptitude Pédagogique .
Nous sommes institutrices et garderons de notre École Normale un excellent souvenir de camaraderie, de protection, de sécurité que nous devons à notre Directrice et à nos professeurs.
Marthe BRIAL, septembre 1996
LÉcole
Normale de Miliana dans les années 30
(Quelques
souvenirs évoqués par notre collègue Yvette Gobert née Ribaut)
LÉcole Normale du département dAlger avait été construite à Miliana, choisi pour son site et son climat. Vers la fin du XIX° siècle, à sa construction, les bâtiments correspondaient alors au mieux aux critères dhygiène, de confort, de bonne marche, de études et dagrément. Mais depuis, bien des conceptions avaient changé.
Par exemple, aux deux grands dortoirs insuffisamment chauffés lhiver, mal commodes, nous aurions préféré des chambres individuelles où chacune aurait pu ranger ses affaires et travailler à son rythme, alors quon se gênait dans les études communes. Les installations sanitaires dataient. Au 2ème étage, les lavabos. En face, de petites logettes où il fallait porter sa cuvette pour compléter sa toilette. Penderies et armoires dun autre côté, et une petite pièce pour les casiers à chaussures.
Il fallait descendre au sous-sol pour le bain ou la douche- hebdomadaire. Cest là que de solides laveuses espagnoles lavaient nos draps dans de grands bassins et où nous pouvions aussi laver notre lingerie.
Léconome, Melle D., plus âgée que la directrice et forte de ses prérogatives (il fallait tourner le matelas tous les jours, donc ne pas « baptiser » son lit. Le matin les élèves, par équipes, balayaient les escaliers, les galeries. Cétait « les charges ». Léconome choisissait souvent le moment des repas, où les trois promotions étaient rassemblées, pour brandir des lingeries qui traînaient. « A qui appartient ceci ? et ceci ? ». Trotte-menu, on la trouvait partout. Je narrivais pas à croiser son regard, quelle avait bigle, mais qui était infaillible pour repérer ce qui pouvait être critiqué dans la mise, la coiffure ou la façon de répliquer
Par chance, en 1931, on ne portait plus luniforme dans les E.N. de France et dAlgérie, mais le règlement nous imposait de défiler en ordre dans les rues, quand nous partions en promenade le jeudi. Le dimanche matin était réservé à la messe, pour certaines. Quelques-unes sortaient avec des correspondants, amis de leur famille. Dautres, dont jétais, préféraient rester à lécole pour mettre leur travail à jour, pour lire ou écrire. En troisième année, nous avons bataillé pour quon nous permette, par petits groupes de trois ou quatre, de sortir sans surveillante. Cest alors que jai le mieux profité de la région.
Miliana, petite sous-préfecture de province, bâtie au flanc de la montagne, gardait encore ses massives fortifications et ses portes, dont celle de Levacher et la double porte du Zaccar. Cétait une petite oasis de verdure, avec ses fontaines et leau courante en bordure des trottoirs ; les jardins en contrebas, bien irrigués, donnaient des légumes et des fruits. On parlait des cerises de Miliana comme on disait « les orangers de Boufarik ou de Blida ». Je découvrais une nature plus somptueuse que ma Mitidja, fertile mais plate.
On abordait la deuxième année avec le sourire et un grand espoir : le stage de deux mois, décembre et janvier, à lécole ménagère et agricole du Jardin dEssai, à Alger. Cette école de renom formait ses propres élèves, souvent filles de familles riches ; mais elle avait de plus une convention avec les trois départements dAlgérie pour y recevoir leurs normaliennes. Les récits de nos « mères » qui nous avaient précédées, nous mettaient leau à la bouche. Les cours : cuisine, ménage, couture, ferme etc étaient plaisants, la discipline discrète et fort douce ; on allait assez facilement à Alger pour des concerts, expositions, bref, on pouvait, sortant du provincial Miliana, profiter des charmes de la capitale.
Cet établissement avait été construit dans lenceinte même du Jardin dEssai. De lautre côté de la route, face à lentrée, sur la colline, le Musée National dominait le vaste parc, et dans son prolongement, sétendait la mer. Sur lesplanade dentrée, la grande statue de Bourdelle, la France, main au-dessus de ses yeux, regardait au nord Je suppose quelle ny est plus Mais au Musée ont été laissées après lindépendance les remarquables collections, en particulier celles des Orientalistes.
Près du Musée, dans la verdure, lInstitut Pasteur, qui avait compétence sur toute lAlgérie. A lInstitut Pasteur, nous avons eu des cours sur les maladies exotiques, le paludisme en particulier.
Quand on rentrait dans le Jardin dEssai, on voyait se déployer dun coup la perspective du parc à la française. De part et dautre, masses plus sombres, les jardins exotiques aux nombreuses espèces de palmiers dont Gide parle dans « Les nourritures terrestres », et Montherlant dans « Il y a encore des Paradis » ; les jardins anglais, lîle, dans les fleurs, puis le zoo, et enfin, la mer, la plage des Sablettes.
Nous pouvions, dans certaines conditions dhoraire et de sécurité, parcourir ce paradis. Et nous disposions à notre gré du propre jardin de lécole.
Pour les études et travaux, nous formions trois équipes. Par roulement, la première à la cuisine, la deuxième au ménage, la troisième à la ferme, sous la direction de professeurs spécialisés ; un surtout nous intéressait particulièrement : cétait M. Castet, Directeur général du Jardin dEssai. Il enseignait lesthétique des jardins et des parcs. A ses côtés, nous parcourions les allées découvrant les perspectives. Il aimait lharmonie des massifs fleuris, les larges bassins aux lignes pures, sans surcharges, reflétant le ciel et les ombrages.
Le stage à la cuisine était très apprécié aussi, mais dune autre façon. Nous mangions nos préparations très variées, excellentes. On apprenait à confectionner des confitures, fruits confits, dattes fourrées, truffes au chocolat, pâtisseries raffinées.
A la ferme, la couvaison des poussins, en couveuses artificielles, exigeait de la vigilance : les pâtées, les pesées, et du soin.
La maturation de certains fromages demande plusieurs mois : par exemple, nous mangions les « Pont lÉvêque » fabriqués par les Oranaises du stage précédent et à leur tour, les Constantinoises mangeaient les nôtres. La fabrication de la pâte exige des calculs précis de présure. Nous nous sommes trompées une fois (ou deux ?). Cela a donné des « petits suisses » dont nous nous sommes régalées. Les quelques photos que jai gardées montrent à quel point nous avions bonne mine à ce régime.
Nous avons eu, à lhôpital de Mustapha, deux (ou trois ?) fois, un cours dobstétrique à la section des sages-femmes. Cétait la première fois que nous avions accès à ce genre denseignement. Il nétait pas question déducation sexuelle en ce temps-là.
La plupart dentre nous mettaient beaucoup de zèle et dapplication dans tous nos cours. La plupart de leurs diplômes de sortie portaient la mention B ou TB. Flamboyant, le coq Yokohama était parmi les plus belles et les plus rares espèces exposées. Fabienne lui a tiré deux plumes de la queue pour orner son bonnet de troubadour dans la Chanson de Roland que nous allions interpréter pour la fête de Noël. Horrifiée, le lendemain Melle B .a découvert loiseau cachant frileusement son croupion dans un coin de la cage.
Certains travaux me semblaient farfelus : par exemple, le dessin minutieux de larmoire aux balais surtout, ou du « nid-trappe » destiné à comptabiliser la ponte de certaines catégories de volailles.
Nous nous moquions sottement parfois de quelques maximes, telles que « à cabinet propre, maison propre », ou de la réflexion de Melle A., professeur de coupe et couture : « Noubliez pas, Mesdemoiselles, que le meilleur parfum, cest la propreté ».
Ainsi, agréablement occupées, nous vivions là des jours heureux, assombris cependant à lidée du retour, car nous devions régulièrement nous mettre à jour pour les cours de maths et envoyer nos exercices au professeur.
Au retour, la réception à Miliana na pas été chaleureuse, le professeur, mécontent de nos devoirs, léconome critiquant notre tenue et nos bagages. Les « premières années », frustrées et indignées, venaient dapprendre que le séjour à lécole ménagère, trop coûteux paraît-il,serait supprimé lan prochain, et définitivement